Depuis 2 ans, tu interviens de plus en plus sur des périmètres “non IT”, par exemple au sein de départements marketing, ressources humaines, recherche et développement, etc. Comment expliques-tu ces nouvelles demandes ?
Tout d’abord, j’ai l’impression qu’il y a une plus forte acceptation au sein des entreprises que nous arrivons à la fin du paradigme avec lequel on fonctionnait jusqu’à présent. À savoir que les organisations ont suffisamment de talents, d’intelligence, de savoirs, de compétences, d’outils, d’argent pour avoir la capacité de gérer, prévoir, anticiper le monde dans lequel on vit et les enjeux qu’il amène.
Aujourd’hui, j’observe une plus grande prise de conscience des dirigeants et des managers de la nécessité de fonctionner autrement. Ce qui était de l’ordre du “nice to have” il y a quelques mois ou quelques années pour certaines entreprises, aujourd’hui, est devenu une urgence, une nécessité. Arriver à fonctionner différemment relève parfois de la survie !
J’ai l’impression que cette crise de la Covid nous invite à redéfinir le pouvoir et à le ramener plus proche des équipes dans le but de développer une plus grande aisance, fluidité, à gérer la complexité, le changement, le besoin de s’adapter face à tout ce que le monde nous impose.
Quelles sont les grandes évolutions que tu observes dans les organisations dans lesquelles tu interviens ?
Je sens une plus grande ouverture des dirigeants et des managers à envisager une autre manière de fonctionner, de s’organiser, d’échanger, de définir les responsabilités, de les partager. J’ai l’impression qu’il y a plus d’appétit et de curiosité chez les managers pour se pencher sur ces questions-là.
Toutefois, même s’ils ont cette conscience et cette envie d’apporter du changement, ils sont aussi désemparés sur comment le faire. À quoi ça ressemble véritablement de fonctionner différemment ? Et c’est là où, selon moi, l’agilité peut être une réponse puissante et pertinente.
L’autre changement que je vois de plus en plus dans les organisations, c’est une redéfinition significative du rôle du manager, en termes de compétences, de responsabilités, de profil … À quoi ressemble le manager de demain ? Comment être capable d’évoluer dans un contexte agile où il y a beaucoup de complexité, d’inconnues ? Il semble impératif de sortir de la posture du manager qui sait tout, qui a la réponse à tout. Pour certaines personnes, c’est un changement incroyablement dur, car il vient toucher à des automatismes ou des croyances ancrées depuis des années. Je pense que c’est un véritable enjeu pour réussir des transformations agiles que d’accompagner ce rôle clé.
Enfin, au regard de la complexité grandissante, j’ai l’impression que les organisations sont face à une obligation de développer une culture de l’adaptation. Et pour développer ce type de culture, cela passe par des responsabilités qui le permettent, par une structure organisationnelle qui le permet. Bref, ce sont des changements significatifs.
Tu accompagnes plusieurs transformations agiles. Y a-t-il des grandes étapes clés qui reviennent ? SI oui quelles sont-elles ?
Basé sur mon expérience personnelle, la première étape essentielle, c’est une prise de conscience et un sentiment profond du besoin de changer. Les transformations agiles ont un tel impact sur les humains, les processus et l’organisation que si elles ne partent pas d’un désir viscéral de changer, la complexité va être trop grande et la transformation ne fonctionnera pas.
La seconde étape clé est la clarification de ce que l’on souhaite accomplir en changeant. Chacune de nos transformations chez Pyxis démarre avec cette intention. Une transformation peut être motivée par de nombreuses raisons. Pour moi, c’est important que tous les acteurs soient au clair, avant de démarrer, sur ce que l’on souhaite accomplir avec cette transformation.
Ensuite, la troisième étape que j’observe, c’est la manière dont on opère la transformation. Chez Pyxis, on agilise 100% de nos transformations agiles. Il me semble important d’acter collectivement qu’une transformation agile est très complexe ! Il y a bien trop de paramètres pour qu’une ou plusieurs personnes soient capables de déterminer un plan sur la manière dont cela va se dérouler. Donc, plutôt que de dire “voilà où nous serons dans x mois”, nous cherchons plutôt à mettre le focus sur les premières étapes qui paraissent pertinentes en ayant de la clarté sur la vision. Et à partir de là, être capable de se voir très régulièrement pour réajuster les actions en fonction des difficultés, des enjeux, des besoins, etc.
Une autre étape important et plus concrète est le choix de la première expérimentation et la manière de la mener. C’est vraiment un moment clé pour donner l’impulsion de la transformation. Pour moi, il faut avoir un contexte ni trop simple (car on ne se donnera pas de possibilités de véritables apprentissages sur la valeur de l’agilité si le contexte est trop simple), ni trop complexe (pour nous permettre d’apprendre de nos erreurs). Par ailleurs, il me semble impératif de démarrer avec des personnes qui ont réellement envie de changer, qui sont motivées.
Je cherche à mener cette première expérimentation autant que possible “by the book”, en respectant les fondamentaux à la lettre. Sinon, il y a trop de risques d’arriver à la conclusion que l’agilité ne marche pas alors que l’on a tout fait sauf de l’agilité! Si on se dit qu’on fait scrum et qu’en fait on fait scrum sans PO. Et puis qu’il n’y a pas de rétrospective, ou que les daily ont lieu une seule fois par semaine, il est fort probable qu’on arrive à la conclusion que Scrum / l’Agilité ne fonctionne pas. Donc une étape importante, c’est se donner la possibilité de faire une première expérimentation, en respectant vraiment les fondamentaux.
Et enfin, la dernière étape clé, qui, selon moi est trop souvent négligée, c’est l’importance d’avoir des temps réguliers avec le top management pour donner de la transparence, lever les blocages qui relèvent de leurs responsabilités, et clarifier ensemble les prochaines étapes ou l’ambition de la transformation. Une transformation agile ne se résume pas à mettre des post-it sur un mur. Cela va avoir des implications à tous niveaux de l’organisation et il est donc fondamental que l’on puisse, à échéance régulière, avoir des points de contact avec le top management pour adresser ces conversations-là.
En tant que coach agile, observes-tu une évolution de ton rôle ? Qu’est-ce que ces nouveaux périmètres d’interventions t’invitent à développer, renforcer, ou abandonner ?
Oui, j’ai le sentiment depuis ces 24 derniers mois, que mon travail a énormément changé en lien avec le domaine d’application dans lequel je suis amené à intervenir.
Je pense qu’il y a toujours une croyance forte que l’agilité est uniquement pertinente dans des contextes IT et que donc, par définition, les coachs agiles doivent avoir une expertise très forte dans ce domaine-là. Moi, je viens d’une école de commerce, je ne connais rien au développement (en tout cas, je n’en ai jamais fait !). Et la manière dont je fonctionne aujourd’hui diminue grandement le besoin d’être expert dans un domaine. Bien au contraire, j’ai l’impression que cela implique de nouvelles compétences, pour être capable d’amener de la valeur dans différents domaines de l’entreprise.
La première évolution que j’observe est la capacité à mettre le focus sur le processus et la singularité des enjeux que vit un service ou une équipe plutôt que sur une compréhension très forte du métier qu’elle réalise. En fin de compte, je ne crois pas qu’en tant que coach agile, mon job soit de comprendre le métier. Mon job, c’est plutôt de réfléchir à comment amener de la valeur en définissant un cadre qui permet à l’équipe d’être efficace, de s’adapter régulièrement. J’ai donc l’impression que cela nous invite à un shift de focus.
Comment, en tant que coach, être capable de s’adapter pour comprendre la réalité de l’interlocuteur avec lequel on échange en vue de lui amener de la valeur plutôt que de lui “débiter” un speech tout fait. Le fait d’avoir travaillé dernièrement dans plusieurs domaines très différents m’a invité à développer une plus grande aisance pour échanger avec tout type de profils dans l’organisation et à rendre mon discours beaucoup plus compréhensible par tous. J’ai pu voir des collègues coachs qui orientent leurs explications de l’agilité en donnant des exemples très IT. Cela va être très pertinent pour un DSI. Mais quand je parle à une DRH ou quand je parle à une directrice R&D,cela a peu de valeur pour elle.
Par ailleurs, pour moi, cela nous oblige à être percutants auprès d’interlocuteurs qui se situent à tous niveaux de l’organisation. Si l’on travaille avec plein de domaines d’une organisation, il m’apparait important d’être capable d’amener de la valeur aussi bien auprès d’une CEO, de Managers que les membres d’équipes. Si l’on souhaite que la transformation prenne dans différents domaines de l’organisation, on ne peut plus se cantonner à juste être capable d’adresser un enjeu ou un type de profil. Cela nous invite à être capables de naviguer dans différents niveaux de responsabilité.
L’agilité, c’est avant tout une philosophie, un “mindset”, des valeurs. Comment qualifierais-tu l’agilité au regard de tes différentes expériences ? Ta vision de l’agilité a-t-elle évolué depuis tes débuts ?
Je suis assez d’accord avec toi sur le fait que pour moi c’est une manière de regarder le monde plus qu’une manière de fonctionner en entreprise. J’ai l’impression que l’agilité c’est l’acceptation que, indépendamment de notre talent, notre intelligence, on vit dans un monde qui est devenu trop complexe pour être planifié, anticipé et prévu. Et que, face à ce constat, nous sommes invités à développer une culture de l’adaptation basée sur l’apprentissage et l’empirisme. Et pour moi, c’est ça l’essence de l’agilité. Tout le reste, ce sont des pratiques qu’on va venir ajouter à ça. Une équipe ou une organisation agile, c’est une équipe ou une organisation qui a accepté qu’elle n’était pas capable de tout prévoir à long terme et qui, face à cela, va développer une capacité et une aisance très fortes dans l’apprentissage par l’empirisme et l’adaptation le plus régulièrement possible.
Et ensuite, si je devais définir ce qui me passionne dans ce qu’est l’agilité, c’est qu’elle amène un paradigme nouveau dans les organisations, avec une manière différente de fonctionner, de délivrer, de nous organiser, de répartir le pouvoir.
Quelle contribution souhaites-tu apporter aujourd’hui aux organisations ? Qu’est-ce qui t’anime?
D’un point de vue organisationnel, je cherche à faire que l’on puisse sortir de nos automatismes, des réponses comme “on a toujours fait ça” ou “on est partis avec la première idée qui nous est venue”.
J’essaie à mon échelle d’amener plus de capacité à prendre du recul par rapport à cela, et à conscientiser en quoi la manière dont on s’organise est cohérente, alignée avec ce qu’on souhaite accomplir dans l’organisation.
Un cadre organisationnel pertinent est un vecteur de performance incroyable! C’est un aspect trop important pour qu’il ne soit pas le fruit d’un choix conscient et confié à la responsabilité d’une ou plusieurs personnes.
Enfin, le dernier point, c’est de réfléchir à la manière dont l’agilité peut faire que l’entreprise soit un espace développemental, c’est-à-dire qui permette aux individus de grandir dans leur connaissance de soi. Avec la croyance, pour moi en tout cas, que c’est la condition pour créer de la fierté de faire partie de l’entreprise et d’y apporter son plein potentiel. C’est ça qui m’anime et qui fait que je me lève le matin.
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