Nous sommes plutôt enclins à nous occuper de nos dettes, et ce, qu’elles soient financières, techniques ou même de loyauté. Toutefois, un autre type de dette a vu le jour au cours des dernières années : la dette développementale. Il s’agit d’une dette découlant du développement humain par opposition à celle découlant de l’avancement technologique, et on la retrouve dans les organisations du monde entier. À titre de membre de la communauté Agile, je pense que nous manquons une occasion en or d’aborder cette dette qui s’accumule rapidement dans les organisations.

Théorie intégrale

Je suis un passionné intégral. Pourquoi ? Simplement parce que je crois qu’une approche de développement intégral permet d’ouvrir la porte à des perspectives de développement complètement nouvelles. Si à ce moment-ci vous vous dites « mais de quel type de développement parle-t-il ? », quelle coïncidence, votre question pourrait prouver mon point. La réponse est : tous les types.

Selon ce que j’en comprends, le principe de base de la théorie intégrale, c’est de tenir compte d’autant de perspectives que possible lorsqu’on parle de développement de pratiquement tout. Ce qui signifie de tenir compte des composants externes (c.-à-d., ce qui est tangible : produits, environnements, actions, structures, outils, processus, pour n’en nommer que quelques-uns) ainsi que des composants internes comme les émotions, valeurs, cultures, buts et intentions.

Quelle est la valeur de cette approche ? Celle-ci permet de nous assurer que nous prenons en compte le plus de perspectives possible lorsque nous innovons, résolvons des problèmes, créons quelque chose à partir de rien, conceptualisons, mettons en action et sauvons des vies. Les approches intégrales s’appliquent à tout (voir la médecine intégrative [en anglais]), et les TI ne font pas exception.

Agilité intégrale

Je crois que nous devrions être reconnaissants d’avoir reçu un cadeau tel que le manifeste Agile de développement logiciel. Je pense que celui-ci offre plus que ce qu’il y paraît. Je crois aussi que la communauté Agile se démène pour trouver une définition à ce que c’est que d’être « Agile », ce que le terme devrait signifier ou même le message qu’il devrait transmettre. Certains sont convaincus qu’il s’agit d’un état à atteindre comme dans « être Agile ». Certains croient qu’il s’agit d’un moyen d’arriver à quelque chose, tandis que d’autres peuvent penser qu’il s’agit d’une perspective mythique qui ne s’applique plus aux réalités et problèmes d’aujourd’hui. Et si c’était : « toutes ces réponses » ? Je crois qu’ici la perspective intégrale peut aider à atteindre la capacité réelle du développement Agile.

Le modèle intégral comprend un concept appelé « les quadrants ». Chaque partie de ce modèle offre une perspective soi-disant essentielle pour donner une image complète d’un sujet donné. Le quadrant supérieur gauche (upper left ou UL) aborde la perspective intérieure individuelle, alias le « je », et le quadrant supérieur droit (upper right ou UR) aborde la perspective extérieure individuelle, alias le « cela ». Le quadrant inférieur gauche (lower left ou LL) contient la perspective intérieure collective, le « nous », et le quadrant inférieur droit (lower right ou LR) aborde la perspective extérieure collective, alias le « ceux-là ». L’image ci-dessous comporte quelques exemples de différents aspects de la vie insérés dans le quadrant approprié.

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Je ne sais pas si le manifeste Agile a été écrit avec l’intention d’inclure la perspective intégrale, mais chacune des quatre valeurs Agiles s’insère presque parfaitement dans un des quadrants.

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Note : Les interactions peuvent aussi s’insérer dans le quadrant inférieur gauche.

La dette

C’est ici que ça devient intéressant, du moins selon moi. Ça peut sembler une critique et peut-être que c’en est une, mais je crois fermement que les avantages de lancer le tout l’emportent sur les risques !

Je ne crois pas que les valeurs Agiles ont été choisies pour qu’une ait préséance sur les autres. En fait, si c’était le cas, les valeurs auraient probablement été écrites ainsi :

« Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils plus que des logiciels plus qu’une documentation exhaustive plus que… »

Il y a une raison pour laquelle le manifeste Agile inclut quatre valeurs. Celles-ci couvrent un grand nombre de lacunes observées et vécues par quelques-uns des plus brillants esprits de l’industrie des TI. De plus, l’attention du monde entier portée au développement Agile de logiciels et l’accent qui y est mis sont la preuve des besoins criants de changement dans le domaine des TI. La mise en œuvre de méthodes Agiles a été en partie réussie et elle a laissé dans son sillage une dette de développement colossale.

À titre d’industrie centrée sur la science, nous excellons dans l’élaboration d’outils et de processus, repoussant les limites de l’innovation chaque minute, sinon chaque seconde. Cette incroyable capacité d’innover, de créer et de développer toujours plus vite, plus efficacement et de manière durable peut être vue comme étant quelque chose de bien ou de mauvais. Tout dépend du point de vue.

Ce sur quoi je crois qu’on peut tous s’entendre, c’est que les efforts déployés en développement technologique dépassent largement ceux déployés en développement personnel. « Pourquoi devrions-nous accorder de l’importance au développement personnel ? » Pour les mêmes raisons que celles évoquées dans les valeurs suivantes du manifeste Agile :

 «Les individus et leurs interactions plus que les processus et les outils.»

«La collaboration avec les clients plus que la négociation contractuelle. »

Quelques faits

Le sondage de Deloitte sur les tendances relatives au capital humain en 2016 (le rapport complet à télécharger ― anglais seulement) a révélé ce qui suit : 92 pour cent des répondants de l’Asie du Sud-est considèrent l’engagement comme étant important ou très important. Ce qui signifie que les entreprises comprennent et reconnaissent qu’il s’agit d’un problème urgent qui doit être abordé. De plus, le gouvernement de Singapour a récemment reconnu un déficit en matière de leadership et d’innovation au sein de sa population. Ainsi, il encourage de manière proactive les institutions et les organisations de Singapour à inclure des programmes de développement dans leurs activités habituelles afin de promouvoir la pensée novatrice et le développement du leadership.

Le lien Agile

Pour citer un fameux compatriote canadien : « n’est-ce pas ironique » que le manifeste Agile fournisse la bonne quantité de valeurs pour combler ces lacunes développementales ? Il est encore plus ironique que les organisations adoptent l’Agilité sans réaliser tout le potentiel de l’application des quatre valeurs ! Et pour être complètement transparent, n’est-il pas encore plus ironique que nous, à titre de membres de la communauté Agile, ayons mis au point tant d’outils et de processus (Scrum, Less, DSDM, SAFe, etc.) qui, bien qu’ils soient d’une grande utilité pour plusieurs, ont créés les mêmes types de souffrances que ceux que le manifeste voulait initialement soulager ? Sur le Web, les nombreux débats quant à savoir si ces cadres, processus et outils aident au développement logiciel ou lui nuisent sont la preuve incontestable de ces souffrances. Devrions-nous nous blâmer pour notre mauvaise interprétation, notre résistance et, dans plusieurs cas, notre convoitise en ce qui concerne le manifeste Agile ?

Je crois que c’est là où les organisations devraient adopter une perspective intégrale en ce qui concerne le Manifeste. Un grand nombre de souffrances actuelles pourraient être soulagées en utilisant les deux quadrants de gauche du modèle intégral lors de leurs transformations Agiles ainsi que les deux valeurs mentionnées plus haut. Et, en même temps, il faudrait qu’elles abordent la dette développementale et les nombreuses questions urgentes indiquées dans le rapport de Deloitte sur les tendances relatives au capital humain en 2016.

La responsabilité intégrale

Ce qui ressort des divers rapports de tendances tels que ceux de Deloitte et Gallup, c’est que les RH, qui sont souvent responsables des programmes de développement, tirent de la patte relativement à l’innovation comparativement aux services des finances et des affaires. Bien que cela puisse être la vérité, à mon avis, c’est absolument injuste de prendre ses distances et de facilement rejeter le blâme sur les RH pour l’absence de progrès développemental dans les organisations.

Les valeurs du manifeste Agile sont disponibles depuis le début du millénaire et probablement un peu avant cela. En effet, les principes de Deming relatifs au développement continu inclusif existent depuis plus de 60 ans. Nous, à titre de communautés d’affaires et de TI, avons la responsabilité d’aborder cette dette relative au développement à l’intérieur de nos propres milieux et de donner un coup de main aux RH dans la redéfinition du nouvel écosystème organisationnel. De leur côté, les RH doivent reconnaître la dette actuelle et accepter l’aide offerte. Les contraintes bureaucratiques doivent être surmontées, repensées et reconfigurées afin de permettre d’unir les efforts collectifs pour trouver de nouvelles idées. Nous faisons tous partie du problème, nous devrions donc tous en assumer la responsabilité.

Une perspective centrée sur le monde

Il y a un phénomène mondial dans lequel la technologie progresse à un rythme jamais vu auparavant. Et il n’y a aucun signe qu’il va y avoir ralentissement dans un avenir rapproché. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de le freiner ni de l’interrompre. En effet, un nombre important d’innovations et de solutions qui ont émergé au cours des vingt dernières années abordent vraiment les principales difficultés du monde entier. D’autre part, à titre de population en continuelle croissance, nous devons être au fait des pièges et dangers potentiels découlant de l’accumulation d’une dette de développement. L’écart entre l’avancée technologique et notre capacité à prendre de sages décisions ne doit pas se creuser. En d’autres termes, c’est bien de développer de nouvelles technologies et d’innover pourvu que nous nous développions en cours de route de manière à pouvoir faire face à nos futures créations.

Quelques idées et suggestions…

  • Tenez compte des quatre valeurs du manifeste Agile dans votre transformation Agile et équilibrez-les.
  • Abordez la dette développementale tout en effectuant votre transformation Agile. Pour ce faire, incluez les quadrants UL et LL dans votre plan de transformation.
  • Adoptez une perspective intégrale dans toutes les sphères de développement (c.-à-d., individuel, des équipes, des services et de l’organisation).
  • Surmontez rapidement les contraintes bureaucratiques qui font obstacle aux initiatives de développement.
  • Faites appel à des coaches Agiles qui sont des coaches intégraux (Lyssa Adkins fait un excellent travail en ce qui concerne l’introduction de concepts intégraux dans le coaching Agile… et nous aussi).

 

marc-andré langlais

Diplômé en génie informatique de l’École Polytechnique de Montréal en 1998, Marc-André compte plus de 15 années d’expérience en TI. Au cours de sa carrière, il a occupé plusieurs rôles dans des domaines variés, ce qui lui permet d’avoir une vue d’ensemble du cycle de réalisation d’un projet.

Afin d’ouvrir ses horizons, il a résidé en Belgique de 2002 à 2009. C’est à partir de 2005 qu’il s’intéresse à la gestion de projet et aux méthodes Agiles, en particulier Scrum et Extreme Programming (XP). Depuis, il accompagne, forme et prend en charge des équipes sur des projets complexes.

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