Depuis plus de quinze ans, l’Agilité a fait ses preuves et est devenue une approche adoptée par les plus grandes entreprises dans des domaines variés. L’équipe de Savoir Agile s’est entretenue avec Guillaume Bertin de Morgan Stanley et Christian Dubé d’Investissements PSP afin qu’ils partagent avec nous leur expérience de l’Agilité dans le monde de la finance.
L’environnement de travail
Guillaume Bertin
Un environnement de travail Agile, c’est d’abord un espace ouvert qui favorise les échanges. Parmi les éléments visuels, il y a une multiplication des tableaux blancs et des espaces de rencontre. La transformation Agile ne se limite pas aux technologies; ce type d’environnement devra s’étendre à l’ensemble de l’organisation. La proximité des équipes techniques avec les unités d’affaires stimule la relation et favorise ainsi la dynamique entrepreneuriale.
Christian Dubé
Nous avons d’abord éliminé les bureaux fermés; les bureaux des directeurs sont devenus des espaces de travail pour l’équipe. Les directeurs se retrouvent donc dans l’espace ouvert avec l’équipe, ce qui leur permet de prendre le pouls plus facilement. Nous avons également retiré les murs, ce qui a permis de regrouper toutes les équipes. Finalement, nous avons modifié l’ensemble du plancher; les équipes sont regroupées par îlots dans l’espace ouvert. Cela augmente énormément la communication à l’intérieur de l’équipe, mais aussi dans tout le département. L’espace de travail a été optimisé, ce qui permet une meilleure fluidité de l’information et une augmentation du sentiment d’appartenance. D’ailleurs, on retrouve les mêmes concepts dans le cadre du réaménagement des plus récents locaux de PSP.
L’imputabilité
GB : L’Agilité augmente l’imputabilité et renforce le sentiment d’appartenance. Une équipe Agile fonctionne comme une démocratie participative. Je vois dans la transformation Agile une forme de démocratisation de l’entreprise. La volonté de s’engager dans des communautés équivaut à devenir citoyen de quelque chose d’un peu plus grand. Les cercles qui se dessinent contribuent à redynamiser l’organisation.
CD : Pour les employés, une des craintes rencontrées a été la peur de l’inconnu. Les gens étaient habitués de travailler dans un mode hiérarchique plus traditionnel et à se faire orienter. Il peut paraître facile de changer cette mentalité en disant que les équipes vont s’auto-organiser, mais cela ne vient pas du jour au lendemain. Il faut les aider à grandir là-dedans.
L’imputabilité étant plus grande, ça peut faire peur aux gens en ce qui concerne la prise de décisions. Dans le cas où ça ne fonctionne pas, ça devient leur responsabilité, car ce n’est pas quelqu’un d’autre qui a pris la décision. Aujourd’hui, les gens sont heureux de pouvoir prendre des décisions et d’être imputables. Cela leur procure un plus grand sentiment d’appartenance et ils se sentent davantage impliqués. Maintenant qu’ils connaissent cette façon de faire, qu’ils ont pris leur place, ils ne reviendraient pas en arrière.
Le changement de style de leadership
GB : Un gestionnaire Agile va revêtir trois nouvelles casquettes. D’abord celle de capacity builder (bâtisseur) : opérationnellement, pour favoriser la dynamique Agile, le gestionnaire doit laisser l’équipe prendre ses propres décisions, quitte à se tromper et à apprendre de ses erreurs.
Il définit les contours de l’équipe et il aide à la clarification des rôles. L’embauche d’un Scrum Master ne suffit pas à créer une dynamique Agile. Le gestionnaire doit libérer l’espace en redistribuant les rôles et en réaffirmant toujours plus la responsabilité d’équipe.
La deuxième casquette est celle de servant leader : il est fondamental qu’il se mette au service de ses équipes. Le gestionnaire doit s’investir pour éliminer les obstacles ou aller chercher des moyens supplémentaires. Dans une multinationale, les sollicitations ne manquent pas et dégager le temps nécessaire est un défi à part entière.
Finalement, il doit jouer le rôle d’ « intrapreneur » : il lui faut inventer et projeter une « méta-vision ». Les « méta-objectifs » se superposeront à ceux de l’équipe. Ils contribueront à créer une émulation interéquipes et à renforcer le lien avec le reste de l’organisation. Cette vision sera l’expression de son leadership; elle doit être originale et authentique.
CD : Pour le gestionnaire, il s’agit d’accepter que tu ne sois plus là pour diriger, mais plutôt pour accompagner. Je vois plus mon travail comme celui de quelqu’un qui énonce les grandes lignes directrices, qui précise où on a besoin d’aller, qui établit les paramètres et s’assure d’enlever les barrières afin que l’équipe puisse s’y rendre. Quotidiennement, je m’occupe beaucoup moins des détails, mais j’essaie de prendre le pouls en étant sur place avec l’équipe.
La peur de devenir inutile est très présente au début; on se demande à quoi on sert. Plus ça prend forme et plus ça commence à fonctionner, plus ton rôle change et il faut accepter de ne plus être le centre décisionnel pour tout. Les équipes gagnent en maturité. Elles sont plus responsables et autonomes, j’ai moins besoin d’être partout. Elles peuvent parler en mon nom, ce qui fait que nous devenons encore plus efficaces.
Avec le temps, la confiance s’est construite avec le groupe. Pour ça, il faut laisser le droit à l’erreur. Des choses vont bien fonctionner, d’autres moins. Parfois nous allons prendre de mauvaises décisions, il faut de l’espace pour l’erreur et il faut se laisser le temps de créer cela et faire confiance aux gens. Autrement, les gens auront peur de s’engager, de prendre des décisions.
La gestion du cheminement de carrière
GB : Dans un monde Agile, vous ne parlez plus de programmeurs mais de développeurs-analystes. Tous les membres de l’équipe apprennent le langage des utilisateurs. Les programmeurs doivent sortir de leur zone de confort et faire la promotion de leur code sous la forme de démonstrations. L’Agilité nécessite le développement de compétences relationnelles et met clairement l’accent sur la communication et la dimension fonctionnelle.
À Montréal, le marché valorise beaucoup l’expertise technique. Or, avec l’Agilité, nous cherchons des gens toujours plus polyvalents et flexibles. Je dois reconnaître que nous sommes donc à contre-courant du marché actuel. Pour aimer l’Agilité dans le domaine financier, il faut aimer le terrain de jeu de la finance. Au final, vous développerez une expertise financière qui n’aura pas moins de valeur. De mon point de vue, adaptabilité et polyvalence sont in fine deux qualités essentielles pour se sentir libres dans un monde qui bouge.
CD : Un des éléments pour lesquels nous n’avons pas encore de réponse complète est l’évolution des gens. On travaille à avoir des équipes multidisciplinaires et autogérées; donc, le succès passe par l’équipe. Mais on voit que la reconnaissance individuelle est importante et il faut trouver une façon de la ramener. Même s’ils font partie d’une équipe, les individus ont besoin de savoir qu’ils font une différence pour leur croissance personnelle.
Un autre élément concerne comment gérer l’évolution de la carrière d’une personne qui travaille dans une équipe Agile où on essaie d’éliminer les titres et les descriptions de tâches. Ce sont des problématiques sur lesquelles on commence à travailler et à voir ce qu’on peut faire pour la progression des employés. Auparavant, il était beaucoup question de descriptions de tâches. Avec le groupe des ressources humaines, on essaie d’éliminer ça pour avoir des profils par compétence. Il faut aussi considérer les autres départements dans cette évolution parce que cela ne peut se faire de façon unilatérale. Il faut aller chercher les autres; il y a beaucoup d’« évangélisation » à faire et il faut travailler avec les gens pour arriver à des profils de poste basés sur les compétences.
Par exemple, un poste pourrait être défini par un ensemble de compétences : techniques, d’affaires, communicationnelles et collaboratives. En fonction de la maturité des compétences, ça correspondrait à un niveau du poste. Par la suite, l’employé pourrait savoir clairement ce qui est nécessaire pour passer au prochain niveau. Les gens souhaitent acquérir un bagage pour assurer leur employabilité.
À propos de Guillaume Bertin
Guillaume Bertin est directeur exécutif chez Morgan Stanley. Il est un expert du développement logiciel. Ses expériences variées lui ont permis de goûter aux métiers de développeur, d’analyste, d’architecte et de chef de projet, ainsi que de toucher à différentes cultures organisationnelles. Ces dernières années, il dirige des équipes de développement dans le domaine financier.
En tant que gestionnaire, il essaie de créer une dynamique d’équipe lui permettant de s’effacer au profit de l’intelligence collective. Il aime voir ses équipes réaliser et se réaliser. Conscient du retard et du potentiel dans son domaine, il est devenu un agent de transformation Agile à Montréal. Il partage ici son expérience personnelle.
À propos de Christian Dubé
Christian Dubé est premier directeur chez Investissements PSP et travaille dans le domaine du génie logiciel depuis 1992. Titulaire d’un baccalauréat en informatique de gestion, il a passé les dix premières années de sa carrière au sein de plusieurs firmes de recherche et développement à concevoir et à développer des applications distribuées. Au début des années 2000, il a travaillé en architecture d’entreprise au sein du réseau de la santé du Québec.
Depuis son arrivée chez Investissements PSP en 2005, il compte de nombreuses réalisations dont la création d’un nouveau groupe responsable des services partagés (développement, intégration, intelligence d’affaires, soutien et collaboration) qui fonctionne depuis le début en mode Agile (Scrum et Kanban). Aujourd’hui, il se concentre sur la création et le fonctionnement d’équipes autogérées qui s’épanouissent et livrent de la valeur.
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