Note de l’auteur : Nous avons changé en français l’intitulé de cette série de billets pour « Histoires de Coach ». Cela reflète mieux l’intention à la genèse de cette série. Voyez-vous, je suis natif d’une petite ville du Bas du fleuve. Dans mon coin de pays, si on s’ennuie un soir d’automne, on peut toujours se trouver un vieux chum accoudé sur un comptoir de bar, prêt à nous raconter une histoire. J’ai toujours trouvé ces histoires riches d’enseignement et aussi rafraîchissantes que la bière qui a l’habitude de les accompagner. Dans cette belle tradition, j’aimerais que cette chronique soit l’occasion de se retrouver au coude à coude devant le comptoir d’un bar imaginaire, le temps d’une histoire.

On m’a souvent demandé : « Julien! Comment est-ce que je peux initier une pratique DevOps dans mon entreprise? »

Il n’y a pas de réponse unique à cette question. Au fil des années, j’ai été amené à aider certains clients à intégrer des approches DevOps dans leur façons de faire et leur façons d’être, mais la forme et la méthode diffèrent chaque fois.

Voyez-vous, pour certains, DevOps représente l’automatisation des tests; pour d’autres, il s’agit plutôt de partages d’accès, d’abatage de silos ou de murs physiques qui séparent les espaces de travail, de soutien applicatif par les développeurs; et j’en passe.

Pour moi c’est un mélange, un melting pot, une sorte d’arc-en-ciel un peu trash.

Il y a quelques années, je coachais une équipe de développement applicatif dans une organisation internationale. À l’époque on ne me désignait pas comme coach, on m’appelait autrement. Probablement « gestionnaire-de-quelque-chose-en-charge-de-l’affaire-compliquée-et-imputable-du-produit-final », j’étais vraiment mal parti.

Un bureau sans papier

Un monsieur bedonnant et moustachu, particulièrement malcommode, nous avait donné pour mission de transformer l’organisation en « Bureau-sans-papier ». C’était un terme très à la mode au début des années 2000 et près d’une décennie plus tard, mon baby-boomer bedonnant venait à peine d’en comprendre la moitié du sens. Enfin, un bureau sans papier signifie souvent que la majorité des documents utilisés par les membres du personnel sont convertis en formulaires électroniques numérisés qu’on finit par imprimer pour les faire signer par son superviseur. La plupart du temps, c’est d’une inefficacité désarmante, voire touchante.

Pour ce dossier, par contre, je dois avouer que rien n’avait été laissé au hasard. Toute la chaîne de valeur avait été prise en considération, de la création de la demande à la signature électronique de la décision exécutive, nous faisions une transition au numérique en grande pompe.

Un mur de confusion

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, tout sauf que…

Il y avait un mur dans notre vie. Un mur de confusion et d’incompréhension…

 

Wall of confusion

En fait, tout était réalisé de façon diligente par l’ensemble des intervenants responsables du développement : La planification, le développement, les tests, l’emballage, puis oups!

Ça traînait…

Ça piétinait…

Je l’ai compris beaucoup plus tard, mais il nous manquait 5 éléments essentiels :

  1. La bonne volonté
  2. La confiance
  3. Le courage
  4. La communication
  5. La collaboration

Pourtant, l’équipe responsable de l’infrastructure technologique était composée de types absolument charmants. Je le sais, j’ai fini par aller les voir. Mon rôle incluait la responsabilité des tests utilisateurs. Je devais aussi soutenir la responsable de la formation. Cela nécessitait le déploiement de la solution dans une multitude d’environnements et chaque fois, c’était long.

À la recherche de bonne volonté

J’ai donc suivi mes deux pieds qui m’ont mené quelques étages plus bas. C’est là que j’ai rencontré Stéphane! Stéphane était un vigoureux trentenaire qui me dépassait d’une bonne tête, armé d’une paire d’épaules qu’on ne voudrait pas croiser dans un ring de boxe, et du sourire le plus bienveillant du monde.

  • « Je peux vous aider? » m’a d’abord dit le colosse au tournant d’un cubicule beige.
  • « Euh oui, je cherche le responsable de l’infrastructure, Marc… heu. » Dis-je, déboussolé.
  • « Tremblay? Tremblay n’est pas là! Parti en vacances. Trois semaines. Ouaip. En attendant, c’est moi qui chauffe. Qu’est-ce tu veux?!»
  • « Tu chauffes? Vous, tu, nous, je… Est-ce qu’on peut se tutoyer, j’ai besoin d’aide. »
  • « Bien sûr! Moi c’est Stéphane! » S’écrit-il en me tendant une gigantesque main à serrer.

Pendant que sa patte d’ours avalait ma main gauche, je me présentais et lui expliquais ma difficulté d’avoir accès au bon nombre d’environnements à jour sur une base régulière et ce faisant, mon épuisement.

  • « C’est certain, ça ne marchera jamais! Chaque fois que tu veux un environnement de plus, il faut qu’un gars installe tout manuellement, teste que ça fonctionne, et quand ça marche bien, tu veux qu’il recommence. Et quand les gars de développement font une version de plus, il faudrait qu’il remette à jour et reteste. Tout ça à la mitaine! Tu es malade! Les gars ne feront jamais ça! C’est beaucoup de travail, tu sais! »
  • Et moi de lui répondre, déboulonné : « Ouaip, je sais, mais ça n’arrange pas ma situation. »
  • « Mais tu es chanceux le gros! », et là il sourit le nounours.
  • « Je suis chanceux, moi? »
  • « Ouaip, parce que moi je suis en train de tout virtualiser, et si tu veux, je pourrais te faire un petit projet pilote, gratuit! »
  • « Sérieux? »
  • « Sérieux! »

Je me souviens d’être tombé dans ses bras. S’il avait été moins poilu, je l’embrassais.

Stéphane venait de m’offrir le premier élément essentiel de DevOps, la bonne volonté. Dans la mesure où il était payé pour faire un travail au sein de cette organisation, il s’était dit un bon matin : « Pourquoi ne pas aider quelqu’un aujourd’hui? » et ce « quelqu’un » cet « aujourd’hui là », et bien c’était moi. Mais pas seulement moi, parce que sans s’en douter, à travers moi Stéphane aidait une bonne soixantaine de personnes : des développeurs et des testeurs.

Avant la fin de la semaine, nous avions un environnement de test virtualisé que nous pouvions reproduire en un nombre infini d’exemplaires, facilitant ainsi la gestion et l’exécution à bien des niveaux.

Bâtir la confiance

La bonne volonté, c’est magique. Ça pousse comme une fleur au fond du cœur des meilleurs d’entre nous et s’offre comme un cadeau, un acte de foi en l’humanité.

La confiance, c’est autre chose. Ça ne coule pas de source. Ça se gagne, se construit. C’est comme bâtir une maison dont on ouvre la porte aux étrangers avec la conviction qu’ils en prendront soin comme de la leur.

J’avais pris l’habitude de commencer mes journées avec Stéphane. J’apportais toujours le café. Il était plus matinal que moi. Quand j’arrivais, toutes les demandes de la veille étaient habituellement réglées. Nous faisions le point tranquillement :

  • « Bon, alors nous faisons quoi? », me dit-il un beau mardi matin.
  • « Bien là, nous buvons un café. »
  • « Sérieux, nos affaires marchent bien mais nous pouvons en faire bien plus. Il y a juste une chose… »
  • « Quoi, ça va coûter plus cher? »
  • « Bien non, tu n’écoutes pas bien. Projet pilote, budget spécial, allo la lune! Non, je veux juste faire partie de ta gang. »
  • « Ouin… »
  • « Allez. Je vais déménager mon lab en haut. Tremblay s’en fout. »

Et le lab de virtualisation est déménagé sur l’étage qu’occupait l’équipe de développement. Stéphane a amené avec lui son stagiaire Zack et bientôt Guillaume est venu les rejoindre.

On entend souvent à propos des types qui travaillent aux opérations qu’ils sont poussiéreux et ennuyants. Notre trio infernal faisait mentir tous les préjugés. Il était de tous les débats, de toutes les réunions : « Nous sommes là pour aider! » C’était devenu le crédo qui retentissait comme un cri de guerre chaque fois qu’on s’opposait à la modernité. Il proposait des changements à nos façons de faire tout en acceptant aussi la critique. Des liens de confiance se tissaient entre les deux équipes.

Le courage vient en équipe

Très rapidement, tous les environnements du projet ont été virtualisés; les déploiements et les tests graduellement automatisés. Nous changions nos façons de faire et par conséquent nos façons d’être. Notre café quotidien rassemblait un plus grand public et prenait des allures de mêlée quotidienne.

Nous changions les choses au jour le jour et même Joe, notre architecte orthodoxe et traditionaliste s’était mis en mode « évolutif ». Il était même devenu aisé de prendre des risques. En équipe, le courage vient plus facilement.

Il ne m’a jamais semblé que le courage venait de notre for intérieur. Si nous méditons très fort, du grand vide intérieur ne naîtra pas la noble flamme du courage dont sont faits les héros.

Je crois plutôt que le courage vient en équipe. Comme me l’a un jour expliqué un pompier : « Je n’irais jamais au feu tout seul, mais si les gars sont là, je sais qu’il ne peut rien m’arriver! ». Le message est clair pour moi : Tout seul tu peux être fort, mais en équipe tu es invincible!

La communication

Avec la confiance qui ouvre la porte au courage vient habituellement une plus saine communication. La lune de miel était terminée depuis longtemps entre les membres d’équipes nouvellement acquises à une approche DevOps et pourtant les tensions restaient minimales.

Oh, nous n’étions pas toujours d’accord et de temps à autre, nous pouvions entendre sur un ton de reproche : « On sait bien, vous autres… » Mais cela ne durait jamais. Nous avions clairement énoncé notre mission commune, reconnu ensemble notre vision. Notre secret : des rétrospectives à chaque deux semaines avec assez de temps pour se parler. « Deux heures! Tu es fou! » m’avait dit un des gars. C’est le même gars qui, sortant d’une période difficile, s’était mis à pleurer comme un veau quand l’équipe l’avait applaudi pour un bon coup.

La collaboration

Il est difficile d’affirmer ce qui provoque ou déclenche la collaboration. J’ai décidé d’en parler en dernier lieu parce qu’elle est souvent le résultat d’un changement organisationnel comme l’introduction des notions de DevOps. Elle est le résultat d’un peu de bonne volonté, d’une solide confiance, de beaucoup de courage et d’une saine communication.

En même temps, la collaboration n’est jamais une finalité. C’est le début, le début d’une nouvelle aventure qui change nos rôles, nos façons de faire et nos façons d’être aussi. C’est comme une colle qui solidifie les autres éléments dans nos relations avec les coéquipiers.

Une chouette collaboration, cela donne le goût de faire preuve de bonne volonté. Cela solidifie la confiance, aide à être courageux et facilite la communication.

Vous voyez c’est comme une roue qui tourne sur elle-même.

Pour ceux qui ne comprennent toujours pas, je vous ai fait un petit schéma :

DevOps

À très bientôt!

Julien Saucier

Julien a une approche de coaching profondément humaine. Il cherche à établir un dialogue visant l’atteinte des objectifs individuels en adéquation avec une vision collective. Il possède une solide expertise en transformation organisationnelle et en coaching exécutif. Il se définit avant tout dans l’action et tente chaque jour d’incarner communication, collaboration et livraison de valeur.

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2 Commentaires

  1. rjsaucier@hotmail.com'
    René Jacques Saucier
    28/03/2018 at 08:32 — Répondre

    Je crois que l’esprit de débrouillardise des gens du bas du Fleuve ,
    et leur esprit de collaboration puisqu’ils sont loin des grands centres
    leur ont permis de créer des équipes multidisciplinaires efficaces
    et très complémentaires…
    Pour ce qui est de l’ouverture vers l’innovation , tout ce qui se passe
    dans le développement maritime en est la plus belle preuve…
    Nous créons des nouveautés à partir de rien si ce n’est que le
    regroupement de plusieurs idées venant de personnes venant de
    domaines si différents mais qui deviennent très vite complémentaires

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