Comme tous ceux qui ont tenté l’expérience le savent, changer une organisation est douloureux. Quoique l’Agilité soit intellectuellement plutôt simple (l’application des principes empiriques au développement logiciel), elle peut fondamentalement remettre en question des croyances profondément ancrées qui n’ont pas été contestées depuis des années. Remettre en cause ces croyances peut être profondément troublant ; cela peut miner la confiance et bloquer des avenues de carrière. Quand nous demandons aux gens d’embrasser les pratiques Agiles, nous leur demandons possiblement d’abandonner une vision du monde qui, bien qu’imparfaite, peut leur sembler mieux que la meilleure alternative. Le cœur de notre mission est de leur montrer que l’Agilité n’est pas seulement différente, mais meilleure. Notre mission n’est accomplie que lorsque leurs croyances changent.

Pour y parvenir, il doit y avoir des failles dans leur vision du monde qui peuvent laisser pénétrer de nouvelles idées. J’ai réalisé que les croyances suivantes établissent la possibilité qu’une organisation soit ouverte au changement. Plus les gens dans l’organisation affirment ces croyances, plus ils seront ouverts à embrasser les principes Agiles. Inversement, quand ils n’y croient pas, l’inertie culturelle de leur organisation peut être trop forte pour être surmontée.

Croyance # 1 : « Si l’organisation ne change pas, elle cessera d’exister. »

Il n’y a rien comme une mort imminente pour faire en sorte qu’une organisation veuille essayer quelque chose de nouveau. De nos jours, de nombreuses organisations se retrouvent dans cette position ; de nouvelles sociétés de l’innovation numérique brisent les vieux modèles d’affaires à un rythme que les organisations traditionnelles ne peuvent pas suivre. Quand les leaders d’une organisation croient que leur culture actuelle ne peut créer les produits et services innovants que le marché demande, ils sont ouverts à changer tout et n’importe quoi.

Le problème auquel font face de nombreuses organisations est qu’elles ne voient que le monde a changé autour d’elles que lorsqu’il est trop tard, et ça, c’est si elles le remarquent. Elles peuvent même parfois s’évertuer à ne pas voir la vérité. Quand elles finissent par la voir, elles peuvent succomber au désespoir ou se mettre à chercher des coupables. Ce n’est pas productif. Afin qu’une transformation Agile connaisse le succès, ces organisations doivent croire que l’Agilité est une porte pour sortir de la crise dans laquelle elles se trouvent.

Croyance # 2 : « Le chemin à parcourir ne peut être planifié ou prédit sans expérimentation. »

Même lorsqu’ils croient qu’ils sont en difficulté, les gens peuvent s’accrocher à la croyance que la planification prédictive traditionnelle va les sauver. Ils peuvent croire que s’ils sont en mesure de livrer le nouveau produit qu’ils ont sur la table à dessin et qui va « tuer la concurrence », ça va aller. Le problème avec cette croyance est que lorsque les marchés changent, les présomptions changent avec ceux-ci. Les approches de planification traditionnelles sont pleines de suppositions qui n’ont jamais été testées ou validées à propos des marchés, des fonctionnalités et des besoins des clients. Tant que l’organisation croit que l’entreprise sait ce que les consommateurs veulent et qu’elle n’a qu’à livrer plus vite, elle continuera de s’accrocher aux modèles de livraison traditionnels.

Si elle croit déjà connaître ce qu’elle doit livrer, elle ne verra pas d’avantages à travailler itérativement, à livrer du logiciel fonctionnel, à mesurer les résultats et à raffiner sa définition de la bonne solution. Les gens croient qu’il est raisonnable de s’attendre à un plan détaillé qui stipule quand ces exigences seront développées et testées. Ils doivent d’abord arriver à croire que leur compréhension des clients est imparfaite, qu’ils n’ont vraiment que des théories à propos de ce dont les clients ont vraiment besoin, et qu’ils doivent former et tester des hypothèses sur ces besoins afin de réussir. Une fois qu’ils acquièrent cette certitude, ils sont prêts à embrasser une approche empirique.

Croyance # 3 : « Livrer de la valeur d’affaires est plus important que l’utilisation individuelle des employés. »

Le travail de la connaissance (knowledge work) au vingtième siècle en est arrivé à être caractérisé par une séparation fonctionnelle en rôles et catégories d’emplois, sur la base de la supposition que le travail est spécialisé et que la meilleure façon de réduire les coûts est de maintenir, en tout temps, le plus occupées possible les ressources coûteuses. Cela signifie habituellement que les gens travaillent simultanément sur de nombreux projets différents pour minimiser les périodes d’inactivité. Puisque presque tout ce que les organisations modernes font requiert que les gens travaillent ensemble, le résultat est que chacun attend que quelqu’un d’autre fasse avancer les choses. Plus de multitâches signifient attendre plus après les autres, ce qui mène à plus de multitâches et plus d’attente. Le résultat est que même la livraison du changement le plus simple peut prendre beaucoup de temps en raison de l’attente et des transferts.

Livrer de la valeur plus rapidement aux clients signifie réduire le temps d’attente, ce qui signifie réduire la spécification des rôles et dédier des ressources à se concentrer sur la livraison de produit. L’équipe Scrum fait cela en ayant des ressources « multicompétentes » dédiées qui réduisent leur dépendance aux ressources externes à l’équipe. Cela minimise le temps d’attente et améliore le temps de mise en marché. Tant que les organisations accorderont plus de valeur au temps de mise en marché qu’à l’utilisation des employés, elles seront incapables d’améliorer leur capacité à livrer de la valeur rapidement.

Croyance # 4 : « Les leaders de l’organisation croient que leurs équipes sont capables de prendre des décisions et de faire la bonne chose. »

Les organisations traditionnelles récompensent et accordent des promotions en fonction de la capacité des individus à accomplir des choses. Elles récompensent l’initiative et les résultats. Elles célèbrent des « héros » qui, seuls, sauvent du désastre les projets en difficulté. La croyance sous-jacente est que les équipes sont incompétentes en elles-mêmes et que sans une main forte qui les guide, elles ont tendance à connaître l’infortune. Malheureusement, cela tend à être vrai dans les organisations qui punissent les erreurs et n’encouragent pas l’apprentissage et l’innovation. Dans ces cultures, les leaders utilisent des mots comme « imputabilité » et veulent avoir « une tête à faire tomber ».

Malheureusement, quand le travail est complexe, ces « héros » causent généralement plus de dommages que ce qu’ils règlent. Livrer du logiciel, ou concevoir des produits physiques complexes qui impliquent du logiciel, est une activité d’équipe complexe, et non le résultat d’actes héroïques individuels. Quand le travail est suffisamment compliqué pour requérir une équipe de professionnels pour livrer le produit, les gestionnaires doivent être sûrs que l’équipe est capable de prendre des décisions importantes. Les gestionnaires peuvent fixer des objectifs, poser des questions et éliminer les obstacles, mais ils doivent accepter qu’ils ne comprennent pas le travail et ne peuvent le diriger efficacement. Cette réalisation peut être un choc émotif et est une des transitions les plus dures qu’un gestionnaire doit affronter lors de l’adoption d’une approche Agile.

Quand les leaders croient en leurs équipes, ils tolèrent les erreurs. Ils posent des questions qui aident l’équipe à apprendre à partir des données empiriques. Ils utilisent des rétrospectives à divers niveaux pour aider l’organisation à apprendre et à s’améliorer. Ils NE cherchent PAS à blâmer quelqu’un ou à punir en raison des erreurs. Ils aident l’équipe à éliminer les obstacles et s’assurent que celle-ci ait accès aux ressources dont elle a besoin.

Croyance # 5 : « Les leaders de l’organisation croient que l’innovation est plus importante que l’efficacité. »

Une organisation qui valorise l’efficacité au détriment de l’innovation croit connaître ses clients et croit élaborer les produits qu’ils désirent. Elle pense également faire mieux que ses concurrents, au moins dans certaines dimensions importantes. Une organisation qui valorise l’efficacité au détriment de l’innovation croit qu’elle se différenciera par le biais de moindres coûts, ou elle pense que ses prix sont suffisamment bons et elle souhaite simplement augmenter sa marge de profit. Une organisation qui croit que l’efficacité est plus importante que l’innovation n’embrassera jamais les principes Agiles avec succès.

Une organisation qui valorise l’innovation plutôt que l’efficacité ne sait pas encore ce que ses clients veulent, ou elle cherche un nouveau groupe de clients avec des besoins inconnus. Elle ne sait également pas ce dont elle a besoin pour satisfaire ces besoins inconnus. Elle se fie plutôt à une approche empirique, sur la formation d’hypothèses à propos de ce dont les clients ont besoin et de ce qui leur donnera satisfaction. Elle favorise la livraison rapide de solutions de grande qualité, et agit en fonction de la réaction. Les approches Agiles aident les organisations à créer systématiquement des solutions qui testent ces hypothèses et s’adaptent en fonction des résultats.

Recommandation : comprendre le système de croyances de votre organisation et soigneusement choisir où commencer.

Un outil de représentation simple, le radar de « préparation Agile », peut aider à identifier les zones dans l’organisation qui sont plus prêtes au changement (voir Figure 1).

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Figure 1 – Un radar de « préparation Agile ».

La figure représente les priorités relatives d’une personne ou d’un groupe par rapport aux cinq dimensions exprimées dans les croyances ci-dessus. Plus un groupe de gens est proche de la bordure extérieure de la figure, plus il est « prêt » pour les changements qu’une approche Agile va demander. Aucune personne ou aucun groupe ne sera idéalement prêt dans toutes les dimensions, mais s’il est plus mal préparé que prêt, quelqu’un d’avisé regardera vers un terreau plus fertile ailleurs.

Les grandes organisations sont des sociétés complexes avec des sous-cultures et des poches de non-conformité. Même les petites organisations peuvent avoir des sous-cultures. Si vous tentez d’introduire des pratiques Agiles dans une organisation, concentrez-vous afin de trouver de petites enclaves où le système de croyances traditionnel est menacé par des forces extérieures, par exemple un segment de marché émergent, ou qui est menacé par des concurrents numériques. Construisez un succès Agile là en premier (voir Figure 2).

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Figure 2 – Les parties de l’organisation qui sont les plus proches des clients sont souvent les plus « prêtes » pour une approche Agile.

Du succès dans ces zones attirera l’attention d’autres parties de l’organisation qui sont menacées de façon similaire et prêtes à changer. Au fil du temps, alors que de plus en plus de parties de l’organisation deviennent confortables avec le nouvel ensemble de croyances, le changement Agile est accueilli avec moins de résistance.

 

Kurt Bittner

Kurt Bittner est le vice-président aux solutions d’entreprise de Scrum.org et un expert de premier plan des approches de développement logiciel itératives. Ancien analyste spécialisé en Agilité et DevOps pour Forrester, il est également un orateur accompli qui a donné de nombreuses conférences. Il est aussi l’auteur de trois livres : “The Economics of Iterative Software Development”, “Use Case Modeling” et “Managing Iterative Software Development Projects.”

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