En lisant Slow Business de Pierre Moniz-Barreto, j’ai été très intéressé par le concept de rythme, de cadence, que j’utilise souvent chez mes clients. À la page 53 du livre, on peut lire :

« Le rythme est partout et en tout : dans toute activité, un rythme s’instaure et se répète, et c’est ainsi que surgit le temps. L’homme est à la fois : Créateur de rythmes; Amené à se soumettre à des rythmes créés par d’autres (exogènes); Habité par son propre rythme (endogène), qu’il s’agit de reconnaître et valoriser. Et il doit constamment travailler à l’harmonie de ces trois dimensions. »

Jacques Porte

Le chapitre dans son ensemble est passionnant. Il a valu à lui seul l’achat du livre pour moi. Ce passage m’a rappelé que je suggère fréquemment de mettre en place un tableau de cadence pour la gouvernance de projet chez les clients que j’accompagne. On essaie d’y lister tous les rituels, rencontres, comités et événements annuels qui gravitent autour d’une équipe.

cadence

Cadence Board

Il est très ardu de les mettre en place, et je comprends mieux pourquoi aujourd’hui. Par peur de ne pas optimiser le temps de travail, on ne respecte pas le rythme de chaque individu d’un groupe. On préfère surcharger la barque des équipes, ne laissant pas la liberté aux individus de trouver leur cadence vitale.

Je pense, entre autres, aux lève-tôt ou aux oiseaux de nuit. Je pense aussi aux parents, aux sportifs, aux bourreaux de travail, aux rêveurs, aux religieux pratiquants, bref, à la diversité qu’on rencontre dans un écosystème. Cela m’évoque aussi la gestion du sommeil, des siestes, des vraies nuits réparatrices dans le bon « timing ». Pour plus d’information sur cet aspect et les rythmes endogènes, voici des ressources sur France Culture et France Inter :

J’écris ces mots en temps de COVID19 en 2020. Ce que je lis ici et là, c’est que certaines personnes découvrent un nouveau rythme, sans transport en commun. Certains font leur sport le matin, ou se lèvent plus tard, et se sentent mieux. Bien sûr que le confinement apporte d’autres effets négatifs, mais par rapport au travail, on rentre dans notre journée en cadence avec la bonne tonalité. Personnellement, ma routine du matin est la suivante :

  • 06h00-07h15 : lecture de livres sans ouvrir mon téléphone portable
  • 07h15-07h30 : méditation avec l’application Headspace
  • 07h30-07h45 : trois leçons d’italien sur l’application Duolingo
  • 07h45-08h00 : préparation du petit-déjeuner
  • 08h00-09h00 : petit-déjeuner et moment privilégié avec ma femme
  • 09h00-09h30 : point du matin avec les collègues de ODDES par vidéo
  • 09h30… : travail pour les clients ou ODDES

C’est plus tard en journée que ça se gâche un peu si on ne fait pas attention à notre rythme intérieur. On se fait imposer d’autres fréquences par les collègues et nos patrons. Tout le monde étant virtuellement disponible en continu, certains déclarent être plus fatigués à la fin de la journée qu’en temps normal. On a travaillé plus, on a fait moins de pauses. On ne parle plus alors de rythme soutenable comme l’on préconise en Agilité.

Rappel d’un des 12 principes du Manifeste Agile :

« Les processus agiles encouragent un rythme de développement soutenable. Ensemble, les commanditaires, les développeurs et les utilisateurs devraient être capables de maintenir indéfiniment un rythme constant. » Manifeste Agile – 2001

L’aspect inhabituel et unique de la crise du coronavirus ne fait qu’accentuer à l’extrême les travers du système en place. Je déteste le management par interruptions. Actuellement, les gens contactent les collègues par téléphone, Zoom, SMS, Slack, WhatsApp, Skype, courriels, Jira, sans nécessairement qu’il y ait un protocole de communication dans l’équipe. On va casser le flot mental. Plusieurs études et ateliers démontrent les méfaits du multitâches et des interruptions brutales. Par exemple :

Dans une autre vie, je faisais partie des fondateurs d’une startup entre 2000 et 2003 à Montréal. Avec les premiers employés, nous avions l’intuition de mettre en place des plages horaires. Voici grosso modo à quoi ça ressemblait :

  • 07h30-10h00 : heure d’arrivée en fonction du rythme de l’individu, petit déjeuner et l’équivalent d’un « daily standup meeting ».
  • 10h00-12h00 : focus sur son ordinateur, silence complet dans le bureau, on travaille sur ce qu’on a décidé pour la journée en concentrant son énergie.
  • 12h00-14h00 : déjeuner, convivialité, sport (il y avait une douche), sieste (il y avait des canapés), travail si on veut terminer plus tôt, mais on sait qu’il y aura un peu plus de bruit dans les bureaux, sans que ça soit la cour d’école.
  • 14h00-16h00 : séance de focus à son ordinateur à nouveau, toujours concentré sur ce qu’on voulait accomplir dans la journée.
  • 16h00-17h00 : réunions de conception au tableau ou travail en pairs pour compléter le travail de la journée, on teste ce qu’on veut mettre en commun dans le code.
  • 17h00-18h00 : au besoin, on fait les annonces des cofondateurs niveau affaires, organisation, si quelqu’un doit absolument partir, on remet l’annonce au lendemain matin avant 10h00.
  • 18h00-19h00 : on quitte, ou on sort les bières, jus et chips, on partage des vidéos (c’était les débuts des partages intempestifs des mèmes et autres drôleries), on met de la musique sur Winamp, etc. Fin officielle de la journée.
  • 19h00-00h00 : pour les motivés et amateurs, ou célibataires, jeux en réseau, parties d’échecs, ou on allait au petit bar du quartier Saint-Henri.

Ce retour d’expérience date bientôt de 20 ans. On n’a jamais raté une seule échéance pour un client. Les deux fois deux heures de concentration étaient puissantes pour la réalisation des objectifs.

Ce qu’on peut en retirer : si on rythme le travail du groupe, tout en respectant le rythme de tout un chacun, l’énergie est canalisée, la santé et la satisfaction de tous augmentent, l’entreprise reste humaine.

Pour terminer, plusieurs entreprises apprennent de nouvelles pratiques avec le chaos du confinement. À quoi pourrait ressembler votre contexte avec les nouveaux apprentissages du télétravail ? Qu’est-ce que vous avez envie de conserver? De modifier? D’éliminer ? Je vous souhaite une belle méditation!

Alexandre Thibault

Après plus de quinze ans en développement logiciel, Alexandre est maintenant coach Agile depuis plusieurs années. Québécois installé à Paris depuis longtemps, il anime les communautés Enjoy Agile et We Open Space, à travers l’outil de collaboration Slack et des événements Meetup.

Il aime pratiquer l’Agilité au service de ses clients en équilibre entre une présence qui permet la parole, la transformation et la prise de conscience et celle d’un guide qui conseille, suggère et invite. Il aime pratiquer le Host Leadership : une posture qui fait de chaque participant la vedette d’un moment co-construit et vécu ensemble. Autrement dit, il adore aider les autres à dévoiler et faire rayonner la beauté de leur talent, dans l’espace collectif. Sa tasse de thé, c’est organiser des Open Spaces communautaires ou en entreprise (Open Space Agility).

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