Peut-on être Agile sans explorer ses croyances fondamentales et celles sous-jacentes à notre environnement ? Quels sont les croyances et les cadres mentaux présents lorsque l’on considère l’Agilité aujourd’hui?

Ce sont des questions que je me pose régulièrement depuis plusieurs années, quand je lis des articles ou des livres, et lorsque je porte attention à mes propres modèles mentaux ainsi qu’à leur évolution dans le temps.

Je définis ici les « modèles mentaux » comme des structures conscientes et inconscientes qui nous permettent d’interpréter le monde qui nous entoure, de donner un sens à notre expérience. Il s’agit de l’ensemble des éléments qui me permet de créer ma réalité par l’interprétation que je donne à mon expérience.

Nos modèles mentaux et nos croyances sont donc des constituants fondamentaux de notre identité, de notre façon de penser et de nous comporter. Et, en tant qu’être humain, cela s’exprime plus particulièrement par l’ensemble des relations que nous avons les uns avec les autres, de façon directe et indirecte, ainsi qu’avec notre environnement.

Pendant longtemps, je n’avais ni connaissance ni conscience de leur existence, simplement parce que j’ai appris l’histoire, la géographie ou le développement de logiciels plutôt que le fonctionnement de l’être humain. Je pensais et j’agissais, un point c’est tout.

Au cours des dernières années, j’ai eu l’occasion de fréquenter et d’être accompagné par de nombreuses personnes qui m’ont aidé à découvrir ces aspects de mon humanité. En premier lieu, j’ai pu m’entraîner à prendre conscience de ce qui est à l’origine de ce que je pense : comment et pourquoi je pense ce que je pense?

Cela m’a d’abord permis d’identifier de nombreuses croyances fondamentales et des modèles à partir desquels je construis le sens que je donne à mon vécu. Cette démarche d’apprentissage, progressivement devenue consciente, m’a ainsi permis d’être en contact avec des nuances parfois très fines, d’oser regarder et accepter des parties de moi-même non assumées, et finalement de comprendre à quel point tout cela influence la façon dont je comprends, interprète et agis en relation, dans mon environnement.

Remise dans le contexte de l’Agilité, une des façons de prendre conscience de ces modèles et ces croyances, dans le cadre de mon métier, a été et est encore, pour moi, le fait d’explorer les jugements que je porte sur ce que je perçois dans le monde de l’Agilité.

Je choisis ici de regrouper sous le terme « Agilité » non seulement les manifestations concrètes du manifeste Agile avec les différentes approches qui s’en réclament, mais aussi les mouvements tels que « l’entreprise libérée » (concept popularisé par le livre « Liberté et Cie » d’Isaac Getz) ou « l’entreprise Teal » (concept mis en lumière récemment par le livre « Reinventing Organizations » de Frédéric Laloux).

Pendant longtemps, j’ai compris l’Agilité comme quelque chose que l’on peut faire ou être. J’ai souvent jugé que telle personne, telle équipe ou telle entreprise est Agile ou « fait juste » de l’Agilité. J’accordais du crédit à celles qui sont (être) Agiles. J’accordais de l’intérêt à celles qui se comportaient ou pensaient d’une certaine manière, alignée avec la mienne, et je dénigrais celles qui, à mes yeux, persistaient à ne pas comprendre que l’Agilité est la solution, et que cette dernière ne peut s’appliquer que d’une façon bien particulière (pour ne pas dire rigide!), en étant Agile (et non seulement en utilisant des pratiques qualifiées d’Agiles).

La gestion des polarités est un exemple d’outil (parmi de nombreux autres) qui m’a permis d’apprendre progressivement à naviguer avec plus de souplesse, et en mouvement perpétuel entre des pôles que je voyais opposés et figés. J’ai appris à reconnaître à la fois la valeur et les inconvénients des deux côtés de la médaille.

Au cours des années, je me suis entraîné à graduellement considérer les choses avec plus de nuances, à accepter le caractère complexe, dynamique et contextuel du monde qui m’entoure.

Il reste que je suis encore (et peut-être plus qu’avant) sensible et profondément touché (souvent cela se caractérise par un mélange de colère et de tristesse) de lire ou d’entendre certaines interprétations ou utilisations de l’Agilité qui m’apparaissent aujourd’hui comme des façons étroites, rigides et simplifiées (pour ne pas dire simplistes) d’être en interaction avec le collectif et l’environnement.

Lorsque je réunis et analyse les raisons pour lesquelles les entreprises souhaitent devenir plus libres ou passer à l’Agilité, j’entends souvent en arrière-plan des croyances profondément ancrées dans notre monde actuel qui cherche toujours plus de rentabilité. L’humain devient alors un des rouages d’une machine qu’il faut rendre plus efficace.

Même lorsque l’épanouissement de l’être humain est mis au premier plan, il est souvent accompagné d’un effet attendu; celui d’obtenir plus de rendement pour l’organisation. Je remarque de nombreuses initiatives de « bonheur au travail » qui résonnent, pour moi, comme une manière « d’infliger du bonheur », de forcer les gens à ressentir un bonheur qui m’apparaît matérialisé.

Je reconnais qu’un cadre de travail agréable, une plus grande autonomie ainsi que la possibilité de prendre des décisions sont déjà beaucoup plus positifs en comparaison avec des environnements asservissants. Faire de l’Agilité pour livrer plus ou plus vite (ou les deux) est effectivement une bonne raison et probablement une bonne approche. Mais doit-elle seulement se limiter à cela?

Quelle partie de vous s’exprime lorsque vous véhiculez avec certitude qu’un Daily Scrum doit se tenir debout ou que le Product Owner ne doit pas y participer? Êtes-vous une entreprise Teal parce que vous appliquez certaines des pratiques listées dans le wiki Reinventing Organisations (www.reinventingorganizationswiki.com)?

Quelle partie de moi s’exprime lorsque je pose ces questions? C’est celle qui ne se satisfait plus de ce que je ressens, celle qui interprète maintenant comme une réfutation la complexité du monde qui m’entoure. Vous pouvez sentir qu’il y a du jugement dans mon expression; je le prends comme le signe que je n’ai pas encore découvert ce qui se cache derrière tout cela et que je n’assume pas certains traits de ma personnalité qui y sont reliés. Et tout cela est correct!

Pour moi, ce cheminement personnel induit la perte d’un grand nombre des certitudes qui me permettaient de soutenir mon identité. C’est profondément déstabilisant par moment, et, à ce jour, je ne sais pas comment cela évoluera. C’est une sorte de saut dans l’inconnu, mais il est tellement gratifiant et libérateur!

Suis-je plus heureux? Oui, sans hésitations, car j’éprouve une plus grande acceptation de ce qui est. Est-ce douloureux? Oui, pour moi, ce l’est souvent et intensément. Et ce n’est plus incompatible avec le bonheur, cela en fait intégralement partie.

Je n’ai plus envie d’infliger du bonheur, de l’Agilité ou de la liberté. J’ai envie d’inviter chacun de vous à être curieux de reconsidérer à chaque instant ce qui vous pousse, vous motive, vous conduit à penser ce que vous pensez, à agir comme vous agissez.

Ainsi, l’Agilité pourrait devenir, en l’englobant, la capacité acquise à identifier et à utiliser de façon consciente et dynamique ses modèles mentaux et ses croyances. Exprimé de manière différente, cela se résume à décider explicitement d’aborder une situation (personnelle ou organisationnelle) à partir de certaines croyances choisies et d’agir en cohérence avec ces dernières, tout en les rendant explicites (à soi et aux autres). Cela inclut d’être curieux des schémas de pensée des autres et de reconsidérer certaines idées reçues.
Être Agile devient alors une pratique qui consiste à entrer en relation avec les autres et avec son environnement, tout en étant conscient, le plus près du moment présent, des modèles qui nous influencent. Cela permet le choix de considérer, dans une situation donnée, certains modèles plutôt que d’autres, de façon explicite et dynamique.

Afin d’appliquer à nous-mêmes ce que nous espérons pour le plus grand nombre, nous explorons depuis quelques mois une pratique que nous appelons, à ce jour, Agilité Participative*. Elle vise à nous permettre de développer cette capacité d’être en relation de façon plus autonome, authentique et complète.

Agilité participative

Tremeur Balbous

Tremeur est un conseiller à Pyxis Suisse (pyxis-suisse.ch). Plus spécifiquement, il est un Scrum Master d’expérience, un coach intégral certifié et un facilitateur d’Immunity to ChangeTM. Il accompagne et conseille les organisations lors de transformations Agiles à l’aide de Scrum. Il travaille avec les équipes peu importe leur taille et leur emplacement. De plus, il coache les managers et les équipes de direction. Contactez-le; il adorerait partager avec vous sa passion pour l’Agilité et le développement humain.

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