Lisez la première partie de cette série ici.

Je pars marcher au parc des Buttes Chaumont pour retrouver ma respiration, dénouer mon ventre, essayer de faire circuler à nouveau l’énergie dans mon corps, de lâcher toute cette peur qui s’est construite dans mes cellules.

Il fait beau, si beau, dehors. Après quelques tours où je cours, sautille, marche vite, en répétant des mantras du style : « Je relâââche tout mon stress quand j’expi-i-i-re, je me remplis de paix et de douceu-eu-eu-r quand j’inspi-i-i-re », je ne peux qu’observer que ça ne marche pas trop. Je décide d’arrêter de vouloir transformer mon état. Je m’assieds en haut d’une colline.

Le stress est collé, accroché en moi, je suis entortillée et bloquée de l’intérieur. Je regarde le monde autour de moi. Je me sens si perturbée par ce rendez-vous. Je sens que ma réaction physique et émotionnelle est démesurée. Mais que faire ? Ce n’est pas ma raison qui se laissera convaincre (« Voyons, prends de la hauteur, Julia, mets les choses en perspective. ») Quelque chose se passe dans mon corps qui est là, qui est plus fort que ma pensée et que je ne peux nier. Rien à faire d’autre que de m’accueillir dans toute cette fragilité.

Je suis assise en tailleur dans l’herbe. Devant moi, il y a plusieurs chiens qui jouent. L’un d’entre eux, petit, jeune, tout mignon, se fait embêter par les autres et ne sait pas se défendre. Il se roule en boule. Je sens soudain mon cœur pris d’un immense élan d’amour et de compassion pour ce petit chien qui souffre et n’est pas capable d’autre stratégie que de se recroqueviller et d’attendre. Quelque chose fond en moi. Mon cœur fond. Je fonds en larmes. Je comprends que ces larmes coulent pour la petite Julia en moi, qui se sent si petite et sans défense. Ce petit chien vient me montrer, à l’extérieur de moi, ce qui se passe à l’intérieur de moi.

La décision d’arrêter

Nous avons rendez-vous chez Éric le jeudi suivant pour travailler sur le projet. Dans le train qui m’amène à Sceaux, je sens le stress qui monte : « Mais comment vais-je faire ? » Réponse intérieure : « Confiance, tu n’es pas seule, il y a Éric et Christian, on est une équipe. Laisse-toi soutenir par les autres. Apprends cela. »

Éric m’accueille, et alors qu’il me propose un café, il me dit : « Julia, en fait, vu la façon dont s’est passé la discussion de la semaine dernière, je n’ai pas d’énergie ni d’enthousiasme pour travailler sur ce projet. On va dire qu’on arrête. » Je le regarde avec des yeux ronds. J’ai l’impression qu’une fée avec une baguette magique vient de faire disparaître le sac à dos de stress que je porte sur mes épaules depuis le matin. Immense soulagement.

Nous prenons un temps pour clarifier et nommer les raisons pour lesquelles nous prenons la décision de nous retirer du projet. La plus importante est que nous ne nous sentons pas en capacité d’instaurer avec Constance la qualité de relation qui nous permettra d’incarner les valeurs que nous voulons porter, et, à partir de là, de faire vivre à l’équipe l’expérience qui est fondée sur ces valeurs. Par ailleurs, notre façon de travailler est très liée à ce qui émerge pour le groupe, et nous avons besoin de pouvoir nous ajuster et improviser au fur et à mesure de l’expérience du groupe. Ce qui ne nous semble pas possible avec le scénario quasi minuté que nous a demandé Constance.

Nous appelons d’abord Céline, notre interlocutrice de l’équipe des RH, afin de l’informer de la situation et de lui faire part de notre décision. Elle est étonnée et nous explique que Constance était certainement stressée lors de ce rendez-vous. Céline nous dit l’avoir vue exprimer de très belles qualités en tant que manager, de façon inspirante, de façon cohérente avec les valeurs qu’elle a à cœur de faire vivre à son équipe durant l’activité de team building.

Notre vécu est différent de cela. Nous rédigeons un message pour Constance, détaillant notre ressenti et expliquant le pourquoi de notre décision. Nous lui disons que nous pensons ne pas être les bons partenaires pour co-construire cette aventure d’équipe. Nous lui proposons d’échanger de vive voix si elle le souhaite.

Le soulagement

Je me sens infiniment soulagée. Mon corps se dépose sur ma chaise, mon bassin s’y installe, ample, rassuré. Ma respiration s’amplifie. Il y a plus d’espace. J’ai retrouvé un lieu sûr intérieur. Mon estomac se relâche, mon ventre reprend sa place. Ma gorge reprend son amplitude, mon cœur retrouve sa douceur. Je reviens à une sensation de sérénité et de confiance, de joie d’être. Celle qui m’habite souvent, qui fait que la vie pétille.

J’observe à la fois le courage de notre alignement, et l’audace de notre posture, alors que nous prenons cette décision dans une grande liberté intérieure, dans la loyauté à nos convictions, avant la loyauté à cet engagement que nous avions établi avec Céline, avant que nous rencontrions Constance.

Je constate combien ma vie est surprenante, alors que nous nous autorisons à être intègres et robustes dans nos convictions. Nous nous permettons d’écouter notre boussole intérieure, d’agir à partir de nos tripes, de faire ce qui nous semble juste. Au risque de décevoir ou de déplaire, ce qui m’a toujours fait peur. Nous osons cette radicalité d’alignement avec nos valeurs, quitte à laisser passer une opportunité de travailler avec un nouveau client sur un très beau projet.

En moi, il y a tout de même de la culpabilité. Je me sens gênée d’« abandonner » Constance et Céline un mois et demi avant l’événement. Je sais que cela engendre une situation très inconfortable pour elles. De ma perspective égocentrique, je me sens soulagée et légère, de retour dans ce doux courant de ma vie, sans trop gros défi qui vient me bousculer.

Éric et moi poursuivons notre réunion hebdomadaire (Exceptionnellement, Christian a d’autres activités.) Bientôt, nous recevons une réponse de Constance. Elle comprend que nous ayons pu ressentir cela, s’excuse pour la posture directive qu’elle a eue durant ce premier rendez-vous. Selon elle, nous avons beaucoup de valeur à apporter à son équipe et elle a foi en notre capacité mutuelle de travailler ensemble d’une façon épanouissante et riche pour chacun. Elle nous propose un nouveau rendez-vous, pour repartir sur un socle nouveau.

Ah ! Moi qui me croyais débarrassée de cette expérience qui avait secoué tout mon être !

Lisez la troisième partie de cette série.

Julia Peyron

Julia est coach en développement intégral, facilitatrice et formatrice à ODDES Conseil. Elle aime plus que tout aider ceux qu’elle accompagne à déployer leurs talents et ressources intérieures d’une façon alignée, afin qu’ils puissent contribuer aux autres et au monde dans l’authenticité, la joie et l’évidence.

Son approche est holistique, intégrant notamment les trois centres de notre puissance en tant qu’humains (notre tête, notre cœur et notre corps), la dimension relationnelle, ainsi que l’enjeu du sens et de l’impact sur notre planète en transition.

Julia est basée à Paris et intervient en accompagnement individuel et collectif.

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